Haut de page

Inde

Trek de la Nanda Devi

Lundi 6 octobre 2008 - De Bimsal à Loharket par la route, puis marche jusqu'à Bandjara Tunga
Dénivelé : +525 m / -140 m

Nous reprenons les voitures à 7h30 pour un peu plus de quatre heures de route particulièrement sinueuse. C'est simple, il y a quasiment un virage tous les cinquante mètres. Le temps est gris, ponctué de quelques averses. Peu après Begawahr, la route devient mauvaise, s'apparentant plus à de la piste, et nous atteignons finalement le hameau de Song, juste après Loharket, où nous attend notre équipe. Alors que nous déjeunons, le soleil pointe son nez et la température, déjà agréable, monte de quelques degrés.
C'est notre premier jour de trek. Cela débute par une montée avant que le chemin ne devient plus plat et rattrape une route en construction. Dans la forêt, nous apercevons furtivement quelques oiseaux au plumage jaune ou rouge métallique. Trop vifs et trop éloignés, je ne peux malheureusement pas les prendre en photo.
Le sentier rejoint une bifurcation pour traverser un village aux maisons en pierre entouré de champs en terrasse où poussent du millet et de l'amarante. Sur les bas-côtés, des familles travaillent à la consolidation de la route.
Nos pas nous mènent à un autre village aux constructions similaires entre lesquelles pousse du cannabis. Quelques gouttes commencent à tomber, et cela se transforme très vite en un gros orage. Un grand arbre nous offre un abri sommaire contre la pluie et la grêle, juste le temps d'enfiler une veste, puis nous reprenons le chemin. À la faveur d'une accalmie, nous arrivons mouillés à notre camp au village de Bandjara Tunga (1880 m), mais la pluie ne tarde pas à tomber à nouveau.
Mardi 7 octobre 2008 - De Bandjara Tunga à Rajkarrak
Dénivelé : +1160 m / -450 m

S'il y a encore eu de fortes pluies cette nuit, cela s'est quelque peu dégagé ce matin. Nous levons le camp à 8h00 en longeant la rivière Suria, puis nous bifurquons sur notre droite pour suivre une gorge. Le sentier, dallé tant que nous traversons des villages, s'élève dans une forêt de rhododendrons couverts de mousse. Dans les alpages, des bergeries en ruine se confondent presque avec les rochers.
À 12h30, nous nous arrêtons pour manger au col Madhuri (3050 m), au milieu des nuages. La pluie commence à tomber alors que nous amorçons la descente. Celle-ci est délicate, glissante par endroits, d'autant plus que la pluie redouble, nous obligeant à enfiler nos capes.
Aujourd'hui aussi, nous arrivons mouillés à notre camp à Rajkarrak (2590 m). Malgré les nuages, la pluie et le tonnerre, l'endroit est particulièrement beau. Nous sommes sur un plateau couvert d'herbe rase et verte, au pied d'un vaste cirque minéral. Je ne peux m'empêcher de regretter que la météo ne soit pas de notre côté pour pouvoir profiter pleinement des lieux.
Mercredi 8 octobre 2008 - De Rajkarrak à Namik
Dénivelé : +550 m / -850 m

Dès notre départ à 8h00, nous poursuivons notre descente dans une forêt le long des alpages. Nous apercevons plusieurs singes gris à la face noire avec une grande queue. Assez craintifs, ils ne se laissent pas suffisamment approcher pour que je puisse prendre des photos.
Le temps est plus clément ce matin, après une nuit fraîche et humide. Le ciel bleu est parsemé de quelques nuages blancs et l'atmosphère est voilée d'une légère brume.
Peu avant Gogina, au niveau d'une maison en ruine, les premiers glaciers et sommets enneigés pointent au milieu des nuages. La haute montagne est là, toute proche. Gogina est un joli village très escarpé où pousse de l'amarante. Les gens y élèvent des vaches et des buffles qui leur servent notamment à labourer leurs parcelles. L'un des habitants nous invite à déguster une sorte de courge poussant là, dont le goût évoque en moi le concombre et la pastèque.
Nous quittons le village pour poursuivre notre descente avant de remonter assez franchement pour longer les gorges de la Ram Ganga sur un sentier souvent dallé à flanc de falaise, puis nous rejoignons un pont suspendu nous permettant de traverser la rivière. Il est déjà l'heure de manger et nous pique-niquons donc au bord de l'eau en profitant des rayons du soleil. Malheureusement, les nuages se font de plus en plus présents et quelques gouttes commencent même à tomber lorsque nous nous remettons en route. La montée vers Namik se fait sous de gros nuages noirs. Nous traversons le village pour établir notre camp sur un plateau situé juste au-dessus (2260 m).
Jeudi 9 octobre 2008 - De Namik au col de Thaltok
Dénivelé : +1200 m / -50 m

L'orage a grondé une partie de la nuit et il pleuvait encore vers 5h30 ce matin. Pourtant, lorsque je sors de la tente à 6h30, le ciel est dégagé avec quelques nuages blancs, offrant une jolie vue sur les montagnes environnantes et notamment quelques sommets enneigés au nord.
Nous partons à 8h00 et le temps se gâte déjà. Les nuages sont de plus en plus nombreux, certains étant particulièrement menaçants. Quelques maisons éparses s'accrochent aux flancs des montagnes et nous passons au niveau d'un homme occupé à tondre ses chèvres. Le chemin s'élève alors, remontant le long d'un torrent dans une forêt de rhododendrons festonnés de lichens. Parfois, nous traversons des clairières où subsistent des bergeries souvent abandonnées. Le sentier dallé nous conduit au col de Darapani (3130 m) où nous bifurquons sur la gauche pour traverser de vastes plateaux d'alpage légèrement vallonnés où affleurent quelques rochers. Ces paysages évoquent en moi des images de l'Écosse des Highlands, tout au moins ce dont j'ai pu en voir sur des photos car je n'y ai jamais mis les pieds. C'est dans ce décor très agréable que nous déjeunons avant d'entamer une montée raide mais facile sous la pluie jusqu'au col de Thaltok (3380 m). Nos tentes sont déjà montées et il y a un refuge en pierre où nous pourrons manger et où les porteurs dormiront.
Alors que nous prenons une boisson chaude à l'orange dans cet abri, la pluie redouble, mêlée de grêle et de grésil, ponctuée de temps en temps de coups de tonnerre. Le vent secoue les tentes, faisant claquer la toile.
Je n'ai jamais pris aussi peu de photos lors d'un trek. Et je n'ai jamais eu un temps aussi pourri.
Vendredi 10 octobre 2008 - Du col de Thaltok à Kaguri Phedi
Dénivelé : +1100 m / -350 m

Ce matin, au réveil, l'atmosphère est évidemment très humide dans la tente, avec du givre sur la toile extérieure. À ma grande surprise, le ciel est dégagé, offrant une belle vue sur le Dangthal, la pointe enneigée de la Nanda Kot et le Trisul. Panorama depuis le col de Thaltok
Panorama depuis le col de Thaltok
Nous nous mettons en marche à 7h40. Le sentier s'élève rapidement et bientôt nous voyons émerger les pics jumeaux de la Nanda Devi. Quelques nuages, sortis de nulle part, commencent à éclore et accrocher les sommets. Il n'y a plus d'arbres ici, juste une végétation rase, mélange de touffes jaunes et vertes, et d'herbes mortes de couleur rouge.
Nous arrivons bientôt sur une crête que nous longeons, profitant d'un panorama superbe. Sur notre droite, le massif du Panch Chuli forme comme une mâchoire aux dents acérées, tandis que de l'autre côté la Nanda Devi s'est déjà cachée dans les nuages. Ceux-ci sont d'ailleurs de plus en plus nombreux à mesure que nous cheminons sur la crête. Après la pause déjeuner, nous sommes dans la brume et il commence à grêler. Après le Sudam Khan, un col à 4110 mètres, le sentier, couvert de neige, passe parfois en corniche, et quelques passages en éboulis sont délicats.
Je ne cesse de bâiller, éprouvant une fatigue grandissante, et une sensation de nausée commence à m'envahir. Nous sommes aux alentours de 3900 mètres, et je sais qu'il s'agit des symptômes d'un mal des montagnes modéré, d'autant plus que j'ai un peu mal à la tête. Cela m'arrive presque systématiquement à ces altitudes, si bien que je ne m'inquiète pas particulièrement, mais cela m'empêche de profiter du paysage et de la randonnée.
Le chemin se poursuit sur une crête avec un à-pic impressionnant sur la droite. La vallée se trouve à plus de mille mètres en contrebas. Nous arrivons à Kaguri Phedi (4060 m) où est planté notre camp sur cinq à dix centimètres de neige. Sur ce petit replat au bord d'un lac, nous sommes au pied de la paroi du Kaguri Bhel, notre objectif de demain. Je dois avouer que j'imagine mal par où nous allons passer pour gravir ce col : la pente, enneigée, me semble particulièrement raide.
Toujours épuisé par le mal des montagnes, je reste dans ma tente jusqu'au repas. Plus tard, je m'aperçois que je n'ai même pas pensé à prendre de photos de notre camp.
Samedi 11 octobre 2008 - De Kaguri Phedi à Poting par le Kaguri Bhel
Dénivelé : +700 m / -1100 m

Nous partons du camp à 7h15 sous un temps superbe. Après le temps de la veille, c'est une divine surprise et j'espère que cela va se maintenir car c'est une grosse journée qui nous attend.
L'ascension du col du Kaguri Bhel se fait d'abord en douceur. Bien que dans la neige, le chemin est assez facile, tant à trouver qu'à parcourir. Rapidement, nous abordons des pentes plus rudes et un névé. Le soleil commence à pointer et la température augmente, nous obligeant à retirer une couche de vêtement. Au loin derrière nous, nous apercevons le Sudam Kahn et le sentier en crête que nous avons emprunté la veille. Le Sudam Khan depuis la montée vers le Kaguri Bhel
Le Sudam Khan depuis la montée vers le Kaguri Bhel
Soudain, Jean-Yves glisse devant moi, je le bloque pour éviter qu'il ne descende plus bas et plie dans la manœuvre l'un de mes bâtons de marche.
La pente s'élève maintenant franchement. Par endroits, elle atteint les 45° et passe au-dessus de petites barres rocheuses. Autant dire que la chute est interdite. Pourtant, je me sens en sécurité. Thinles, le sherpa le plus expérimenté, ouvre la voie et nous creuse régulièrement des marches dans la neige avec son piolet. Il me suffit de veiller à bien placer mes pieds tout en plantant mes bâtons pour trouver un équilibre rassurant.
Quelques centaines de mètres avant le sommet, il nous faut nous encorder pour franchir quelques passages très délicats dans la neige. Et puis c'est le sommet, le Kaguri Bhel, magnifique col situé à 4822 mètres d'altitude. La vue est superbe sur les sommets environnants. Je n'ai pas éprouvé de difficulté physique dans cette ascension qui s'apparentait plus à une course facile de haute-montagne qu'à de la randonnée. Focalisé sur mes gestes et mouvements, je n'ai pas ressenti de mal de tête. C'est ici, au sommet, qu'il commence à se rappeler à moi.
Nous entamons la descente dans la neige. Certains passages sont franchement ludiques, se passant en grandes foulées ou en glissant comme sur des skis. D'autres sont plus difficiles, la pente s'accentuant et la neige se durcissant. Il nous faut même mettre en place une corde fixe pour nous aider à franchir un court passage. Là aussi, quel plaisir de faire ça !
Nous nous arrêtons pour manger au soleil, mais je picore à peine. Mes maux de tête sont plus forts, j'ai vaguement la nausée et pas d'appétit. Nous poursuivons la descente et, bien vite, la neige disparaît. Pour moi, cette partie du chemin est la plus difficile à cause de ce MAM modéré. J'ai vraiment l'impression que je vais vomir. Pourtant, après une autre pause pour boire et grignoter une barre de céréales, tout va mieux. Mon mal de tête et mes nausées disparaissent en dix minutes, aussi rapidement qu'ils étaient apparus la veille. Il faut dire que nous avons bien descendu et devons être sous la barre des 3900 mètres.
La descente se poursuit dans de l'herbe humide et des rochers. Vers 16h00, nous finissons par arriver à notre camp à Poting (3680 m), au milieu des montagnes. Voilà une superbe journée comme je les aime, intense, physique et avec un splendide décor.
Dimanche 12 octobre 2008 - De Poting à Bugdiar
Dénivelé : +110 m / -1250 m

Encore une nuit fraîche et humide. Ce matin, il y avait du givre dans la tente et l'enveloppe externe de mon sac de couchage était mouillée.
Nous quittons le camp à 8h30 sous un temps superbe. Le sentier suite d'abord une forte pente le long d'un petit torrent, serpentant au milieu des rhododendrons et des bouleaux, avant d'aboutir à un chemin longeant le torrent issu du glacier de Poting. Le paysage est splendide, mêlant petites cascades, sommets enneigés, parois abruptes et végétation variée. De part et d'autre de la rivière, des bergers s'occupent de leurs chèvres et moutons.
Nous traversons le torrent sur un pont sommaire. Quelques sapins s'accrochent aux flancs des montagnes. Le sentier s'élève ensuite franchement le long d'un impressionnant éboulement qu'il contourne par le haut, puis nous enchaînons par une longue descente herbeuse dans une pente avoisinant les 40°. Heureusement, le temps est au beau fixe car cette partie doit être extrêmement délicate en cas de pluie. Nous retrouvons une sorte de sentier caillouteux nous menant à Bugdiar (2410 m) où notre camp est dressé au bord de la Gori Ganga.
Nous profitons du soleil jusqu'à 15h30 pour laver et faire sécher quelques affaires.
Le chemin que nous devons emprunter demain semble s'enfoncer dans des gorges.
Lundi 13 octobre 2008 - De Bugdiar à Railkot
Dénivelé : +1000 m / -300 m

Aujourd'hui est une journée de transition avec la remontée de la vallée de la Gori Ganga. Nous partons vers 7h30 en direction du nord par un bon sentier s'enfonçant à l'ombre des gorges. Peu après notre départ, nous rencontrons des soldats en armes, Bugdiar étant un poste militaire, et une quarantaine de lycéens indiens partant au glacier de Milam.
Le chemin monte petit à petit. De nombreuses cascades, de part et d'autre, descendent des flancs abrupts hauts de plusieurs centaines de mètres qui feraient à coup sûr le bonheur des amateurs de grimpe. Après une montée un peu plus rude, le sentier nous mène sur un replat où se dresse une station météorologique automatique avant de redescendre dans le lit de la rivière. Plusieurs ouvriers travaillent là. Il semblerait qu'ils fassent des forages pour étudier la faisabilité d'un futur barrage qui noierait la vallée en amont.
Un cadavre de vache pourrit à quelques mètres de là, pas loin de l'eau, nous le dépassons en essayant de ne pas remarquer l'odeur pestilentielle qui s'en dégage et nous entamons une nouvelle montée tandis que la gorge s'élargit peu à peu. Aux alentours de dix heures, le vent change totalement de direction. Ce matin, il soufflait du nord, et maintenant il vient du sud, s'engouffrant entre les parois de roche pour remonter le cours du torrent. Plutôt fort et froid, il n'est pas franchement agréable. Pourtant, lorsque nous trouvons de quoi nous en abriter, la température est agréable, incitant à rester en tee-shirt, un enthousiasme vite calmé dès que nous nous retrouvons à la merci des rafales.
Nous prenons notre repas auprès d'un torrent, le Lapsabadli Gad, puis notre chemin s'élève pour éviter des éboulements ayant récemment emporté l'ancien sentier. Encore quelques kilomètres et nous voici à Railkot (3130 m) où est installé notre camp, juste au-dessus de la rivière qui serpente au milieu des alluvions. Autour de nous s'élèvent quelques sommets enneigés pour nous rappeler que nous sommes tout proches de la haute montagne.
À l'origine, il était prévu que nous continuions jusqu'à Martoli, à un peu plus d'une heure d'ici, mais dans le groupe un homme est affaibli par un gros rhume et une dame est très fatiguée. Ensemble, nous avons donc décidé de raccourcir cette étape, ce qui décalera un peu celle de demain.
Ce soir, le vent est tombé, le ciel dégagé laisse voir une lune presque pleine faisant presque briller les neiges éternelles.
Je ressens comme une petite démangeaison au fond de la gorge. C'est ce satané vent de l'après-midi. J'avais bien mis un bonnet, mais j'ai peur d'avoir trop tardé à le faire.
Mardi 14 octobre 2008 - De Railkot à Lawan
Dénivelé : +730 m / -290 m

Dès notre départ à 7h30, nous montons sur un sentier en zigzags. Le temps est nuageux au sud, en aval de la rivière, mais nous nous dirigeons au nord, là où le ciel est bleu, ponctué de quelques nuages blancs ne semblant guère menaçants.
Nous rencontrons à nouveau les lycéens de la veille ainsi que quelques militaires toujours porteurs de ces longs fusils. La frontière chinoise, ou plutôt tibétaine, n'est qu'à une vingtaine de kilomètres à vol d'oiseau, ce qui explique la présence de ces soldats dans cette vallée.
La roche a changé. Le gneiss et le mica ont laissé la place à des schistes aux teintes rouille et gris argenté. En nous retournant vers la vallée, nous apercevons le Ralam Pass, le col que nous devons passer dans quelques jours. Tout blanc, il semble être couvert d'une épaisse couche de neige.
Une bifurcation nous mène au village abandonné de Martoli où il était initialement prévu que nous dormions à l'étape d'hier. Errer dans ces ruelles vides procure une étrange sensation, comme si tout était mort ici. Pourtant, il reste un semblant de vie dans une sorte d'hôtel tenu par trois personnes, les seuls habitants du village. Divers sommets enneigés s'offrent à nos regards, en particulier la pointe de la Nanda Kot. Laissant Martoli à son abandon, nous suivons le sentier nous menant vers l'ouest. Un temple hindou, relativement bien entretenu avec ses murs blanchis et ses multiples cloches, est l'occasion de faire quelques photos, mais il me faut vite rattraper le reste du groupe.
Le sentier suit maintenant la Martoli Gad, qui se nomme Lawan Gad un peu plus haut en direction du camp de base de la Nanda Devi. La végétation est toujours majoritairement composée de ces touffes d'herbes vertes aux pointes blondes qui empêchent de voir où l'on pose les pieds, mais elle se diversifie bientôt avec des bouleaux aux branches nues et quelques genévriers portant leurs baies noires. Quelques rares rhododendrons réussissent à pousser çà et là, mais ils sont bien plus petits que ceux que nous avons pu voir jusqu'à lors. Avec leurs trente centimètres, ils font pâle figure face aux arbres de quatre à cinq mètres rencontrés les jours précédents.
Franchissant quelques petits éboulis, le sentier s'élève de plus en plus tout en continuant à suivre la rivière qui se retrouve maintenant plusieurs dizaines de mètres en contrebas. Puis nous obliquons pendant quelques centaines de mètres sur la gauche avant de descendre vers un pont nous permettant de franchir un affluent de la Lawan Gad. Sans un instant de répit, il nous faut ensuite remonter très franchement jusqu'à un petit plateau où est perché le hameau déserté de Lawan. Nous prenons notre repas à cet endroit, tentant de dénicher des places abritées du fort vent froid levé depuis 9h00 ce matin. Les nuages, de plus en plus présents, masquent régulièrement le soleil, amplifiant encore la sensation de fraîcheur. Nous ne nous attardons donc pas et suivons toujours le sentier, de moins en moins marqué, vers le camp de base. De nombreux éboulis, certains vraiment importants, coupent régulièrement le chemin. Les franchir ne me pose pas spécialement de problèmes, même si j'ai bien conscience qu'une chute à cet endroit pourrait faire très mal. En fait, il suffit d'étudier le terrain en un coup d'œil pour déterminer où passer puis d'y aller, sans précipitation mais sans s'attarder trop non plus. Si ces passages sont délicats, je ne les trouve pas difficiles, et cela m'amuse même assez.
Le camp est dressé un peu moins d'une heure après Lawan, sur l'un des très rares espaces à peu près plats de cette vallée, à 3560 mètres d'altitude. Nous sommes un peu en aval de Shira Karak où il était initialement prévu de dormir si, hier, nous avions poussé jusqu'à Martoli. Le temps est maintenant franchement menaçant, de gros nuages gris au-dessus de nous laissant tomber quelques gouttes.
Ce soir, presque tout le monde tousse et se mouche. Simple coup de froid ou virus se promenant de l'un à l'autre ? Je ne sais pas, mais j'espère que cela ne m'affaiblira pas pour la suite du trek.
Mercredi 15 octobre 2008 - De Lawan au camp de base de la Nanda Devi
Dénivelé : +780 m / -200 m

Épuisé par un fort rhume qui le tient depuis le début du voyage, Serge décide ce matin de faire demi-tour. En concertation avec Fabrice et Tashi, il convient de redescendre à Martoli accompagné d'un sherpa et de quelques porteurs pour s'y reposer deux jours en nous attendant.
Nous nous levons tôt, à six heures du matin, pour découvrir les alentours du camp poudrés d'un à deux millimètres de neige, et les montagnes nous entourant parfaitement dégagées. Une fois de plus, le petit-déjeuner (porridge, œufs, pancakes...) nous fait du bien, nous apportant toute l'énergie nécessaire à cette journée qui s'annonce assez rude. Nous continuons à suivre le sentier peu marqué s'enfonçant dans la vallée de la Lawan Gad. Régulièrement, des éboulements ont emporté le chemin et certains passages sont plutôt ludiques, d'autres assez délicats, comme celui où c'est une coulée d'avalanche que nous devons traverser. La neige, gelée au point d'avoir la consistance de la glace, n'offre pas énormément d'accroche, mais Thinles, le sherpa, taille quelques marches avec son piolet.
Sous un ciel qui se couvre de plus en plus depuis 7h30, notre sentier se faufile toujours à flanc de la rive droite du Lawan Gad. Bientôt, nous voici obligés de traverser le torrent à gué. Après que les deux femmes ont franchi l'obstacle sur le dos des sherpas, c'est pieds nus dans mes sandales, le pantalon relevé au-dessus du genou, que je m'apprête à goûter à cette expérience nouvelle pour moi. Malgré mes craintes, l'eau ne me semble pas trop froide et je lève le pied pour mon premier pas dans la rivière. Patatras ! Dès que je le repose à la surface de l'eau, je suis déséquilibré par la force du courant. Je tente de rester debout, bien que je sente que c'est plutôt mal parti, titubant dans la flotte comme un jeune animal faisant ses premiers pas, pas possible, je vais me ramasser dans les flots, lorsque je sens une main salvatrice me retenir par le bras. C'est un porteur, il est à mes côtés et je lui dois une fière chandelle. Encore un peu sonné par cette péripétie, je décide de planter mes bâtons de marche fermement dans le lit du torrent pour m'équilibrer. Et là, c'est mon bâton droit qui m'est arraché par le courant et s'en va, flottant au fil de l'eau, avant que je ne puisse le rattraper ! Quel abruti aussi, de ne pas avoir enfilé sa dragonne... Le porteur m'a aussi lâché le bras pour se précipiter à la suite du bâton, malgré mes protestations. Ce n'est pas la peine qu'il prenne des risques pour cela. Un sherpa est arrivé pour me seconder, et je parviens enfin sur l'autre rive. Eh bien, ce fût pour le moins laborieux, le mot est faible. Le porteur revient rapidement, mon bâton à la main. Je le remercie vivement et décide de le lui laisser à la fin du trek.
Pieds essuyés, chaussettes et chaussures de marche enfilées, nous reprenons notre chemin pour nous arrêter un bon quart d'heure plus tard, à l'abri du vent, avec une vue sympathique sur le Kuchela et la Nanda Kot. Les nuages se déchirent peu à peu pour laisser passer quelques rayons de soleil et des éclats de ciel bleu. Le Kuchela (6294 m) et la Nanda Kot (6861 m)
Le Kuchela (6294 m) et la Nanda Kot (6861 m)
Notre camp se trouve un peu plus loin, sur le plateau de Naspanpati (4140 m), au pied de l'énorme moraine du glacier de Lawan dont la forme presque circulaire évoque celle d'un cratère. Tandis que les femmes descendent directement vers les tentes où sont déjà parvenus les porteurs, nous poursuivons vers le camp de base de la Nanda Devi. Le chemin, s'élevant plus ou moins franchement, est marqué mais souvent coupé par des éboulements, certains passages étant bien plus difficiles que ce que nous avons rencontré ce matin. Quelques porteurs nous rattrapent sur le sentier. Montés depuis le campement, ils veulent, eux aussi, voir la Nanda Devi.
La moraine se dresse sur notre gauche, par-delà le Lawan Gad qui ressemble ici à un simple ruisseau. Cette sorte de vallée finit par s'élargir sur la droite pour former un vaste plateau où se situe le camp de base (4300 m). La vue est superbe sur les sommets environnants, le Kuchela, la Nanda Kot, le Changuch et la Nanda Kat. Malheureusement, la reine des lieux, la Nanda Devi, se cache toujours sous ses nuages. Tandis que le soleil finit sa course derrière la haute muraille de la Nanda Kat, ses sommets jumeaux émergent timidement avant de se réfugier à nouveau dans les nuées.
C'est en 1934 que les anglais Tilman et Shipton découvrent un accès au sanctuaire de la Nanda Devi, un endroit situé au nord du massif et aujourd'hui interdit à toute personne. Deux ans plus tard, Tilman revient sur les lieux accompagné de l'américain Odell et, ensemble, ils parviennent les premiers au sommet. La Nanda Devi Est sera vaincue en 1939 par deux alpinistes polonais, Bujak et Klarnek. Aujourd'hui, l'accès au sommet se fait par ce camp de base en empruntant le col de Longstaff où se trouve le camp de base avancé. Du col, c'est ensuite une course d'arête jusqu'au pic est. De là, il faut suivre la longue arête de plus de deux kilomètres reliant les deux sommets pour enfin s'attaquer au sommet principal.
Un frisson me parcourt l'échine et j'enfile mon bonnet. À l'ombre, la température chute rapidement, nous forçant à entamer la descente vers le camp. Je ressens une certaine fatigue et commence à tousser de plus en plus, mais cette journée m'a enchanté.
Ce soir, après le dîner, quelques flocons voltigent dans la nuit.
Jeudi 16 octobre 2008 - Du camp de base de la Nanda Devi à Martoli
Dénivelé : +280 m / -1040 m

Il a fait très froid cette nuit, mais ce matin c'est le grand beau. Autour de nous, les nombreux sommets enneigés resplendissent, se détachant magnifiquement sur le ciel bleu d'une pureté parfaite.
Nous redescendons la vallée du Lawan Gad par le même chemin que les deux jours précédents dans le but de rejoindre Martoli. Peu après notre départ, nous apercevons quelques bharals (aussi appelés blue sheeps ici) au loin sur notre gauche, sur les flancs du Nanda Lapak. Il s'agit de sortes de mouflons typiques de l'Himalaya qui, tout comme leurs cousins européens, se déplacent en bande. Le troupeau que nous voyons compte une dizaine d'individus et il faut les jumelles pour arriver à distinguer autrefois que de vagues ombres mouvantes.
Je redoutais le passage de la rivière à gué suite à mes difficultés d'hier, mais je le passe sans problème. J'ai retenu les leçons de mes erreurs.
Règle n°1 : toujours laisser les deux pieds dans l'eau et les soulever le moins possible.
Règle n°2 : enfiler les dragonnes des bâtons de marche.
Nous retrouvons peu après les nombreux éboulis coupant le sentier, puis la coulée de neige gelée. Aux alentours de 8h30, nous croisons un couple d'anglais originaires de Newcastle, accompagnés d'un sherpa et de leur chien. Nous discutons un peu avec eux et apprenons qu'ils sont partis le matin même, vers cinq heures, de Martoli et veulent aller jusqu'au camp de base de la Nanda Devi avant de revenir au village. Je ne dis rien, mais cela me semble extrêmement ambitieux car la distance est loin d'être négligeable, d'autant plus que le terrain n'est pas toujours facile.
Notre pause de midi se fait à Lawan, au même endroit qu'à l'aller, des genévriers nous protégeant du vent froid qui s'est mis à souffler. Le temps se couvre assez rapidement, de gros nuages gris finissent par masquer le soleil, et nous reprenons la descente jusqu'à Martoli (3380 m) où nous retrouvons Serge. Il a l'air d'aller mieux, ces deux jours de repos lui ayant fait le plus grand bien.
Les anglais rencontrés ce matin ne sont de retour que dans la soirée, aux alentours de vingt-deux heures.
Vendredi 17 octobre 2008 - De Martoli à Pashu
Dénivelé : +430 m / -410 m

Nous avons presque pu faire la grasse matinée aujourd'hui : le lever a eu lieu une demi-heure plus tard que d'habitude, à 6h30. Une nouvelle fois, la nuit a chassé tous les nuages et c'est sous un ciel d'azur que nous prenons le chemin en direction du nord pour poursuivre la remontée de la vallée de la Gori Ganga, les sommets enneigés du Hardeol et du Tirsuli en ligne de mire.
Dès la sortie de Martoli, une descente assez raide nous permet d'atteindre un pont pour traverser le Lawan Gad peu avant qu'il ne se jette dans la Gori Ganga. Remontant ensuite de manière plus douce, le sentier remonte la large vallée parsemée de ces herbes jaunes qui me rappellent celles que l'on trouve sur l'altiplano bolivien. Le village de Mapa se dresse bientôt devant nous, après que nous ayons franchi un nouvel affluent sur un pont de bois. Comme dans les autres villages de la vallée que nous traversés, il n'y a plus personne ici. Les portes et les fenêtres sont murées avec de grosses pierres.
La vallée de la Gori Ganga a longtemps été une route commerciale avec le Tibet. Après la guerre entre l'Inde et la Chine en 1962, cette route a été fermée, entraînant un rapide déclin des villages de la vallée aujourd'hui quasiment désertés. Certaines maisons seraient encore utilisées lors des saisons clémentes avant que leurs propriétaires ne redescendent dans la vallée, à Munsiyari ou plus en aval, lorsque les récoltes ne peuvent plus se faire et que les premières neiges tombent, ce qui expliquerait pourquoi certaines rares portes sont fermées par un cadenas et d'autres sont murées. Il n'en reste pas moins que la majorité des maisons de ces villages sont à l'état de ruines, toits écroulés, murs effondrés.
Peu après Mapa, nous rencontrons une dame se promenant seule, accompagnée d'un sherpa. Originaire de Calcutta, il vient du glacier de Milam et a traversé la rivière à hauteur de Burphu pour remonter vers Pashu.
Le sentier continue à s'élever doucement vers le nord. Une superbe cascade sur notre gauche laisse à penser que nous allons devoir à nouveau franchir un torrent. En effet, une centaine de mètres plus loin se présente à nous ce qu'il faut bien appeler un pont. Trois poutres et une planche transversale tous les deux mètres environ. Et bien sûr la rivière trois à quatre mètres en-dessous, qu'il est possible de passer à gué pour les moins téméraires. Je ne suis pas vraiment friand de ce genre de passage où le vide s'invite à la partie, mais je décide de tenter le passage par le pont. À petits pas, les bâtons de marche dans une main, le regard fixé sur la poutre, je traverse l'obstacle non sans avoir eu une bonne poussée d'adrénaline. La Nanda Devi Est vue depuis Pashu
La Nanda Devi Est vue depuis Pashu
Nous arrivons à Pashu (3400 m) aux alentours de midi. Dans le creux entre deux montagnes, nous apercevons le sommet de la Nanda Devi Est, couronné de quelques petits nuages. Très rapidement, la montagne se réfugie dans les brumes, conservant son aura de mystère.
Pashu est l'un de ces villages fantômes, semblable à ceux que nous avons pu voir les jours précédents. Il n'y a plus personne ici. Sur la rive opposée de l'affluent s'écoulant de l'ouest, un autre village semble tout aussi déserté. Seules présences là-bas, les militaires dans leur poste de garde.
Notre camp est monté et nous prenons notre repas dans la tente mess pour nous abriter du fort vent qui a amené avec lui de nombreux nuages. Alors que nous nous apprêtons à gagner nos tentes pour faire un peu de rangement dans nos affaires, nous voyons arriver un groupe de la vallée de Pashu. Éparpillés sur plusieurs centaines de mètres, il s'agit de jeunes gens de vingt-cinq à trente ans environ, de diverses nationalités et venant du Wyoming où ils font des études au sein du NCOLS. Nous discutons un peu avec certains d'entre eux qui, lorsque nous leur apprenons que nous allons aussi explorer cette vallée le lendemain, nous conseillent de partir tôt pour bien profiter du spectacle de la Nanda Devi avant que les nuages n'arrivent.
Samedi 18 octobre 2008 - Exploration de la vallée de Pashu
Dénivelé : +605 m / -605 m

Nous suivons les préconisations des américains rencontrés hier, et c'est à 5h45, le jour commençant à peine à poindre, que Jean, Jean-Yves, Fabrice et moi nous mettons en route, assistés de Tashi et Thinles. Nos yeux s'habituent rapidement à la pénombre et nous pouvons nous passer de nos lampes frontales pour aborder les premières pentes assez raides dès la sortie du camp. Quelques minutes plus tard, la Nanda Devi Est nous apparaît dans le V formé par la vallée de Pashu dont nous suivons la rive droite. Le soleil fait jouer ses premiers rayons sur la cime enneigée qu'il pare de rose et orangé. Je m'arrête quelques instants pour prendre des photos. Une montagne au lever du jour est un spectacle splendide que je n'ai pas si souvent l'occasion de contempler.
Je rejoins mes compagnons de route à la faveur d'une accélération qui me réchauffe mais m'essouffle également, me rappelant que nous sommes à près de 3500 mètres d'altitude. Dans l'ensemble, le sentier est bon, avec seulement deux ou trois passages à peine plus délicats, principalement à cause du gel. À plusieurs reprises, nous nous arrêtons pour photographier la reine des lieux, cette Nanda Devi pour laquelle nous sommes venus ici. C'est magnifique. La lumière change à chaque pause, les détails des glaciers accrochés aux flancs de ces imposantes montagnes se font de plus en plus précis. La Nanda Devi
La Nanda Devi
Peu avant neuf heures, nous débouchons presque sans nous en apercevoir sur un vaste plateau nommé Iklualari Thaur (3940 m) où nous restons de longs instants à admirer les sommets jumeaux de la Nanda Devi. Ils nous paraissent si proches, et pourtant il faudrait encore un bon temps de marche pour arriver au pied de ces murailles de pierre et de glace s'élevant plus de trois mille cinq cents mètres au-dessus de nous. Gravir un tel sommet requiert un tel niveau, physique comme technique, au-delà de mes capacités, mais quel spectacle magnifique cela doit être !
Quelque temps après, arrivent la dame de Calcutta croisée la veille, accompagnée de son sherpa, puis c'est au tour du couple d'anglais que nous avions vus entre Martoli et le camp de base. Nous discutons un bon moment ensemble, partageant quelques vivres de course et nous régalant les yeux de ces magnifiques montagnes.
Deux membres de notre équipe arrivent, leurs sacs à dos chargés avec notre lunch. Alors que les anglais sont redescendus, nous pique-niquons dans ce décor paradisiaque peu après onze heures, puis nous nous reposons au soleil. Ce sont les nuages qui nous forcent à redescendre. Accrochant la Nanda Devi depuis plus d'une heure, ils finissent par envahir le ciel, nous plongeant dans l'ombre et faisant bien baisser la température.
Nous redescendons rapidement au camp à Pashu en empruntant le même chemin qu'à l'aller, et nous y retrouvons le reste du groupe qui avait préféré se reposer là.
Dimanche 19 octobre 2008 - De Pashu à Burphu
Dénivelé : +210 m / -360 m (+810 m / -960 m avec l'extension)

Bonne nouvelle : ce matin, je tousse moins et j'ai le nez plus dégagé que les jours précédents.
Nous partons plus tard que d'habitude, vers neuf heures, le temps que deux des personnes restées au camp hier montent un peu plus haut revoir la Nanda Devi Est sous un grand ciel bleu sans un souffle de vent.
Le sentier descend la vallée en direction de Burphu, suivant la rive droite de la Gori Ganga. Il passe en contrebas du chemin suivi à l'aller, coupant même parfois dans le lit du torrent. Cela nous permet surtout d'éviter ce pont plus que sommaire, ce qui n'est vraiment pas pour me déplaire ! Peu avant d'arriver au village de Burphu, le Ralam Pass se montre à nous, plein sud, fortement enneigé. Sur notre gauche, à l'est, une vallée s'ouvre sur le Burphu Dhura (6145 m), un splendide sommet couronné de glaciers.
Peu après midi, nous atteignons le village (3260 m) où se dresse notre camp à proximité d'un torrent. Le vent du sud, levé plus d'une heure auparavant, fait de plus en plus sentir ses rafales glacées. Vers treize heures, quelques nuages commencent à bourgeonner sur les cimes.
Après un peu de lessive et une toilette sommaire, je cherche des volontaires pour venir avec moi se balader. Après tout, nous avons l'après-midi libre, alors autant en profiter. Je n'aime pas rester en place sans rien faire, surtout si le temps est correct. À mon grand dépit, seul Fabrice est volontaire, les autres préférant se reposer dans les tentes. Nous nous mettons donc en chemin à 14h10 en direction de la vallée du Burphu Gad. La traversée du village rappelle celle de Bugdiar ou Martoli : de jolies maisons de pierre à l'abandon, certaines avec les toitures effondrées, d'autres avec un cadenas récent sur une jolie porte de bois. Pourtant, il reste quelques rares habitants ici et il y a un poste de l'armée.
Le sentier, étonnamment bon, est assez facile. De nombreux murets de soutènement permettent de cheminer sans aucun problème au-dessus du torrent. Un peu plus haut dans la vallée, des éboulis rendent par endroits le passage plus ou moins délicat, mais nous progressons toujours d'un bon pas, rive droite, nous élevant au milieu des rhododendrons et de ces arbustes piquants au feuillage rouge. Nous ne rencontrons absolument personne, ce qui ne m'étonne pas vraiment. Le Burphu Dhura
Le Burphu Dhura
Bientôt, nous arrivons à un cairn surmonté de cornes de bharals, enroulées comme celles des mouflons. D'un commun accord, nous décidons de pousser notre exploration encore un peu plus loin. Le sentier, moins marqué, est très agréable, serpentant parmi une végétation rase très odorante rappelant la garrigue. Il s'agit vraisemblablement d'une sorte d'armoise. Face à nous, le Burphu Dhura ne veut pas se départir de son capuchon de nuages blancs. Deux vallées semblent partir de chaque côté de la montagne, laissant espérer des explorations intéressantes, mais le temps de faire un point GPS (3800 m) et de boire un coup, il est seize heures. Il est temps de redescendre après une dernière photo du Burphu Dhura.
Le chemin de retour est rapide, étrangement plus aisé qu'à l'aller dans les passages un peu plus scabreux. Après une heure de marche assez rapide, nous retrouvons le camp où nous attend un bon thé chaud.
Lundi 20 octobre 2008 - De Burphu au camp de base du Ralam Pass
Dénivelé : +1055 m / -345 m

On en parlait depuis quelques jours, c'est fait. Le groupe a été scindé. Annie, Claire et Serge, fatiguées et affaibli par le rhume, descendent directement dans la vallée. Jean, Jean-Yves, Fabrice et moi tentons le Ralam Pass.
Nous quittons Burphu en empruntant un petit pont en bois enjambant la rivière éponyme pour suivre la Gori Ganga par sa rive gauche. Le sentier est bon, avec un ou deux éboulis, puis rejoint un nouveau village abandonné, Suma. Sur la rive opposée, Martoli est perchée sur son plateau, puis la Nanda Kat fait émerger fugitivement sa pointe enneigée avant de laisser la place aux massives cimes jumelles de la Nanda Devi.
Quelques nuages commencent à envahir le ciel, poussés par cet habituel vent froid et violent qui nous accompagne fidèlement depuis tant de jours. Il semble jouer avec nous, comme le ferait un chat d'une souris, nous frappant de ses rafales glacées avant de nous abandonner quelques instants pour reprendre un peu de chaleur au soleil, avant de nous secouer à nouveau.
Le sentier amorce une descente pour traverser un nouvel affluent de la Gori Ganga avant de s'élever franchement en lacets. En me retournant, j'aperçois certains porteurs sur l'autre flanc. Pour éviter descendre puis remonter, ils ont préféré poursuivre pour traverser à gué plus haut. Si cela leur épargne des efforts, ils se retrouvent dans des situations difficiles, le chemin étant en très mauvais état à cet endroit. Heureusement, avec la solidarité de tous, ils parviennent à franchir l'obstacle.
Nous traversons des bosquets de rhododendrons et une petite forêt de bouleaux avant d'aboutir en début d'après-midi à notre camp situé à 3940 mètres.
La vue sur l'amont de la vallée court jusqu'au glacier de Milam, surplombé par le Hardeol et le Tirsuli cachés dans les nuages.
Mardi 21 octobre 2008 - Du camp de base du Ralam Pass à Marjhali
Dénivelé : +750 m / -1050 m

Nous débutons l'ascension du Ralam Pass à 6h20 sous un ciel dégagé après avoir vu les pics jumeaux de la Nanda Devi, de l'autre côté de la vallée, se teinter de rose, jaune et blanc au lever du soleil. Il fait froid, c'est certainement la nuit la plus glaciale depuis le début du trek. Au réveil, des cristaux de givre constellaient l'intérieur de la tente.
Après quelques centaines de mètres, nous traversons le campement des américains du NCOLS rencontrés l'autre jour. Ils commenceront l'ascension plus tard, vers neuf heures, et se réveillent à peine. Nous sommes sur le flanc nord de la montagne, dans l'ombre et le froid. Nos pas ont déjà foulé la neige dure lorsque le soleil parvient enfin à nous frapper de ses rayons. La pente n'est pas très forte et les conditions de neige bonnes dans l'ensemble, même si sa nature change régulièrement : tantôt dure, tantôt molle, et parfois cachant des plaques à vent. En contrebas, la vallée de la Gori Ganga s'éclaire peu à peu, révélant un paysage grandiose, de véritables grands espaces que l'homme n'a pas encore défiguré.
La pente se fait plus dure, rendant les bâtons bien utiles. Je ne ressens pourtant aucun danger et d'ailleurs il n'est pas nécessaire de s'encorder. Par moment, Thinles prend un peu d'avance pour tailler des marches au piolet là où la neige est trop dure. Dans le montée du Ralam Pass
Dans le montée du Ralam Pass
Après trois heures de marche et quelques petits arrêts techniques, nous atteignons le col (4666 m) marqué par plusieurs petits cairns. La vue s'offrant à nous est époustouflante. Un panorama grandiose à 360°. Côté nord, la vallée d'où nous venons, surplombée par toute une chaîne de sommets enneigés d'où émergent les molaires de la Nanda Devi, du Hardeol et du Tirsuli. Côté sud, la vallée de la Ralam Gad dominée par une autre chaîne ponctuée par le Trigal (5983 m), le Suitila (6373 m), le Chaudhara (6510 m) et le Rajrambha (6537 m). Nous restons là une bonne demi-heure à admirer le paysage tout en grignotant quelques vivres de course. Le Ralam Pass, aussi appelé Birjeganj Dhura, restera gravé dans nos mémoires.
La descente s'avère relativement facile, le versant sud étant quasiment dépourvu de neige. Très vite, le sentier est plus marqué, traversant quelques éboulis. Dans le ciel, trois grands rapaces, peut-être des gypaètes, semblent veiller sur nous tandis que de nombreux choucas jouent avec les courants ascendants.
À midi, nous faisons une longue pause pour profiter pleinement du soleil et du paysage. Hormis les rares maisons du village de Ralam au fond de la vallée, il n'y a nulle trace d'activité humaine. Les sommets les plus hauts finissent par se parer de nuages blancs, nous donnant le signal de départ.
Nous poursuivons notre descente jusqu'à notre camp de Marjhali, en aval de Ralam, après avoir traversé un alpage dont les bâtiments ont le toit couvert de branches de genévriers, les portes et les fenêtres condamnées par de gros blocs de pierre.
Au repas du soir, sous la tente mess, nos pensées vont vers l'autre partie du groupe qui doit se trouver à Bugdiar.
Mercredi 22 octobre 2008 - De Marjhali à Singrani
Dénivelé : +150 m / -1450 m

Adieu haute montagne ! Adieu glaciers et cimes enneigées ! Aujourd'hui, nous quittons les altitudes élevées où nous évoluons depuis plusieurs jours pour descendre le long de la rive droite de la Ralam Gad.
Le ciel est d'un bleu d'azur très pur, mais le fond de l'air est particulièrement froid, le soleil n'ayant pas encore franchi les murailles qui nous entourent. Bien qu'il soit par endroits en partie effondré, le sentier est plutôt bon. Tantôt il nous mène dans le lit de la rivière que nous longeons sur quelques centaines de mètres, tantôt il nous fait prendre de l'altitude pour évoluer en corniche quelques dizaines de mètres au-dessus du torrent. Mais nous ne nous y trompons pas : nous perdons régulièrement de l'altitude.
Vers trois mille mètres, la végétation change brutalement. Des arbres de différentes essences commencent à réapparaître, avec leur feuillage aux couleurs de l'automne. Les plantes aussi se diversifient : orties, bambous... Tout cela nous change de ces touffes jaunes-vertes qui nous avaient accompagnés en altitude. Sur notre gauche, une vallée perpendiculaire nous laisse entrevoir le Rajrambha avant que nous ne nous enfoncions dans la forêt.
La pause de midi se fait au milieu des bambous. Le ciel se couvre rapidement de nuages gris, entraînant une chute notable de la température. Les lunettes de soleil regagnent la poche du sac à dos et les vestes ont tôt fait de couvrir les tee-shirts.
Nous reprenons notre chemin sous un ciel devenant franchement menaçant. Sur notre droite, une colonie d'une quinzaine de singes à face noire s'enfuit dans les arbres.
Peu après, un sommaire pont en bois nous permet de rejoindre la rive gauche de la Ralam Gad où est dressé notre camp au lieu-dit Singrani (2330 m).
Le temps de faire une toilette sommaire, la pluie se met à tomber...
Jeudi 23 octobre 2008 - De Singrani à Paton
Dénivelé : +475 m / -975 m

La jonction avec l'autre partie du groupe doit se faire aujourd'hui.
Après une petite descente, le chemin dallé s'élève fortement dans la forêt pour atteindre un promontoire à 2590 mètres d'altitude, surplombant le confluent de la Ralam Gad avec la Gori Ganga. Face à nous se dresse l'un des derniers sommets enneigés du trek, le Ratpati qui culmine à plus de 5100 mètres.
Le sentier oblique vers le sud à flanc de coteau puis remonte à nouveau pour atteindre un point à 2650 mètres d'où nous avons une vue plongeante de plusieurs centaines de mètres sur la rivière. Nous amorçons alors une descente qui nous permet d'apercevoir une dernière fois le Rajrambha tandis que quelques personnes fauchent de l'herbe sur les pentes.
Un affluent de la Gori Ganga est facilement traversé grâce à un pont de bonne facture et nous nous enfonçons dans une forêt luxuriante où de nombreux singes à face noire s'enfuient de branche en branche. Leur vitesse et leur agilité sont proprement surprenantes. J'estime leur poids à une vingtaine de kilos, et pourtant ils font des bonds impressionnants, donnant l'impression de surfer sur les arbres.
Nous sortons du couvert de la forêt pour déboucher au beau milieu d'un troupeau de chèvres et moutons. Un peu en contrebas, le village de Paton semble se dorer au soleil. Après tant de jours into the wild, c'est le retour à la civilisation !
Nous mangeons à l'ombre, au bord d'une sorte de pâturage, puis nous retrouvons le reste du groupe au temple hindou du village. Ensemble, nous descendons à notre camp situé dans le bas de Paton (1830 m). Lors de notre traversée des ruelles du village, les gens répondent difficilement à nos namaste et sont peu souriants. On est loin de l'ambiance qui peut régner dans les villages népalais, et cela est une vraie déception pour moi.
Vendredi 24 octobre 2008 - De Paton à Munsiyari
Dénivelé : +900 m / -500 m

Voilà, c'est fini. Dernier jour de trek et déjà un peu de nostalgie. Malgré sa durée et son côté assez exigeant, je suis surpris de constater que je suis physiquement plutôt en bonne forme. Certes les cuisses sont un peu dures le matin lorsqu'il faut se mettre en route, mais je me sens prêt à marcher encore une semaine sur ces sentiers de montagne. Village de Lilam
Village de Lilam
Nous quittons notre camp à Paton par une franche descente de façon à traverser la Gori Ganga sur un pont récent. Sur la rive opposée, c'est le village de Lilam. Il y a là de nombreuses cultures et autres arbres fruitiers : courges, piments, bananiers, citronniers aux fruits d'une taille impressionnante... Le sentier, parfaitement dallé, suit la rive droite de la rivière, accompagnant ses flots tumultueux dans leur descente vers l'aval. Bientôt, nous atteignons les faubourgs de Munsiyari. La pente s'élève alors, serpentant au milieu d'un habitat dispersé bordé de cultures en terrasses. Nous abordons une route bitumée, puis nous voyons notre première voiture depuis trois semaines. J'ai presque du mal à croire que cela fait si longtemps.
Nous prenons notre lunch aux abords d'un temple hindou, et je profite du soleil lors d'une courte sieste. Mais il faut repartir, poursuivre sur ce chemin qui monte toujours. Les maisons se sont rapprochées les unes des autres et nous finissons par parvenir au centre du village, à plus de deux mille mètres d'altitude. De nombreuses échoppes vendent un peu de tout et nous croisons dans ces rues animées notre cook qui achète des poulets pour notre repas du soir, le dernier avec notre équipe.
Notre camp est dressé dans l'arrière-cour d'une habitation (2130 m), au calme, avec une magnifique vue sur la chaîne du Panch Chuli.
Nous partageons un dernier moment de convivialité avec les porteurs. Je leur laisse deux casquettes et surtout mes bâtons de marche à celui qui m'a aidé à traverser le torrent à gué tant de jours auparavant. Le plaisir qui transparaît dans son regard fait drôlement chaud au cœur.
Juste avant le dîner, Serge nous fait une petite frayeur. Il se sent mal, éprouve des difficultés à respirer et il faut l'aliter dans la maison.
En plus des poulets achetés dans l'après-midi, le chef cuisinier nous a préparé un gâteau pour fêter la fin du trek. Il n'avait pas besoin de cela pour nous laisser un souvenir marquant car, tout au long de cette longue randonnée, il a réalisé des prouesses. Merci cook, et chapeau !
Samedi 25 octobre 2008 - De Munsiyari à Kathgodam par la route
C'est une longue journée de route qui nous attend afin de rejoindre Kathgodam où nous prendrons le train de nuit pour Delhi.
Le départ est matinal et, dès la sortie de Munsiyari, cela serpente énormément. Tout au long du trajet, c'est une succession de montées et de descentes sur une route très sinueuse qui s'apparente plus à une piste jusqu'à Almora. En moins d'une heure, des personnes commencent à être malades et il nous faut nous arrêter. Pour ma part, je ne me sens pas très bien non plus, ne goûtant guère à ces virages tous les cent mètres. Alors je me concentre sur la route comme si c'était moi qui conduisais afin d'éviter la nausée.
Nous faisons presque trois cents kilomètres pour arriver à Kathgodam vers dix-neuf heures, soit après plus de onze heures de route. De nuit, la ville me paraît bien plus grande qu'à notre arrivée matinale trois semaines auparavant. Et surtout beaucoup plus animée : il y a des gens et des voitures partout dans les rues. Après un détour par un restaurant pour un bon dîner très vite avalé, la faute une longue attente après la commande, nous arrivons à la gare. Dans le train, nous occupons un compartiment couchette.

                   Diaporama de photos d'Inde
500pxFlickrInstagramTwitterRSSContact

©2006-2024, Stéphane Bon